Anto Tomasini, Abstractions

Toiles brunes, toiles couleur de terre doré : « Ce qui m’inspire ce n’est pas un autre peintre, c’est ma terre, mon histoire, le monde méditerranéen. Je tire mes toiles de tout cela, » dit l’artiste.

Anto Tomasini tire le fil conducteur de sa thématique à partir de sa terre natale. Du latin tela, le mot toile est dérivé de texla lui-même dérivé du verbe texere, tisser.

Et le tissage nous renvoie au langage et le langage à l’image et l’image à l’histoire de la toile de Bayeux qui n’est pas tissée mais cousue. Brodée de fil blanc et de fils colorés sur 70 m de long et 50 cm de haut, fable généalogique, elle fait fonction d’un récit comme les toiles abstraites de Anto Tomasini qui puisent leur intrigante manifestation typologique dans ses origines : « L’art abstrait s’est imposé à moi, ce qui m’as permis de me connaître doucement.»

L’artiste dit qu’il est né en Corse, qu’il est Corse dans la Corse et que la Corse est ouverte sur le monde. Par analogie visuelle, par association sémantique, sa Marina a Sulinzara rappelle la célèbre mappemonde conçue en 1971-72 par l’artiste italien Alighiero Boetti. L’omniprésence des bleus, le lambeau étendu jaune, la vivacité des entailles rouges entraînent l’esprit à participer aux mêmes jeux de passage se tissant entre l’un et le multiple, le singulier et l’universel, le peintre et la peinture, le fragment et le cosmos.

Dans les œuvres de Tomasini, on descelle parfois des paysages côtiers, des bords de terre à l’encontre de la mer. D’autrefois des architectures, dans le style rustiques modernes à la Chaissac : I paesi d’istati .

De plus en plus abstraites, à l’image d’un patchwork surprenant, ou bien déchiquetées telles une carte géographique, ses toiles développent une thématique sensorielle et une découpe visuelle personnelle, une carte de tendre.

La peinture est posée partout sur la toile. Elle bouche les espaces vides. Mais peut être il n’y a pas du tout de vide car entre les pans des surfaces, le bleu prend possession des creux du dessin, tout comme l’eau qui s’amasse entre les interstices des rochers...La nature a horreur du vide. Les découpes et les déchirures, crevasses ou blessures sont localisées à la surface de la toile, nous renvoyant aux affiches lacérées de Jacques Villeglé, a leur subtile manière de nous signifier la mémoire d’une ville.

Mais ici la peinture est vivante parce que granuleuse, parce que ton sur ton, parcelle par parcelle, elle est en train de se métamorphoser, de changer de lumière, de s’assombrir ou bien s’éclaircir comme un paysage après le passage des nuages: U cudutto. Le bleu revient souvent, le vert est doux, comme au printemps.

L’artiste ne regarde-il jamais le ciel ?

Ni la verticalité, ni l’illusion de la perspective n’est vraiment suggérée. Son regard suit seulement le reflet du ciel sur la terre, les rayons du soleil qui féconde la surface tellurique de la terre qui semble suinter à partir des profondeurs : Cartographie de ses émotions, de ses états de conscience, son œuvre resserre les liens que l’artiste entretient avec sa terre natale, liens charnels. « Viscéraux dit-il, peindre c’est autre chose que d’étaler de la peinture sur une surface plane ».

Ileana Cornea - Paris, Fevrier 2010